Le Yémen au bord du chaos
- Kévin Saigault
- 14 nov. 2014
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 31 mars 2021
Une rébellion chiite a pris possession, en septembre dernier, de Sanaa, la capitale du Yémen. Tandis que mercredi les rebelles continuaient leur expansion territoriale en s’emparant de la ville de Radhma, dans le centre du pays, un attentat anti-chiite a fait une dizaine de morts dans la capitale.
Situé à la pointe de la péninsule arabique et surnommé « l’Arabie Heureuse » dans l’antiquité à cause de son climat favorable à un système d’irrigation abondante, le Yémen est aujourd’hui confronté à la poussée d’un mouvement indépendantiste au Sud, une guérilla menée par Al-Qaïda et la position de faiblesse de son gouvernement. Une rébellion chiite s’affirme désormais comme la force dominante du pays. Celle-ci a conquis près de 40% du territoire yéménite et continue sa progression malgré des combats réguliers contre les tribus sunnites.
D’une minorité religieuse à un parti politique
Les rebelles sont issus d’une branche minoritaire du chiisme, le zaydisme. Ils forment donc une minorité dans la minorité au Moyen-Orient. Dans un pays à majorité sunnite, ils représentent environ un tiers des 24 millions de yéménites, et adoptent parfois le nom de « houthis » en hommage à leur dirigeant, Hussein Al-Houthi, tué lors de la guerre civile de 2004. Majoritaires dans le nord du pays, ils contrôlent également la province de Saada et ont étendu leur influence jusqu’au port de Hodeida sur la mer rouge. La branche armée de leur parti politique, Ansaruallah, signifie littéralement les « partisans de Dieu ».
De la guerre civile de 2004 au printemps arabe
Le Yémen est le fruit fragile de la réunion de la république démocratique et populaire du Yémen et de la république arabe du Yémen en 1990. Marginalisés sur le plan politique et économique, les houthis réclament l’autonomie dont ils bénéficiaient avant 1962. En 2004, une guerre civile éclate. « Le président, Ali Abdallah Saleh, instrumentalise alors cette guerre pour renvoyer les chiites à leur identité religieuse, explique Philippe Bannier, collaborateur en charge du Yémen à l’institut européen de recherche sur la coopération méditerranéenne et euro-arabe (Medea). Avant cela, les tensions entre chiites et sunnites étaient quasi-inexistantes. »
En 2011, le « printemps arabe » atteint le Yémen et conduit au départ d’Ali Abdallah Saleh en échange de son immunité. Mais ce dernier exerce toujours une influence importante depuis sa résidence surveillée, dans la capitale. Une partie de l’armée lui est restée fidèle. « Il tente désormais d’aider les houthis car il sait que seul le chaos peut le ramener au pouvoir », analyse Philippe Bannier.
Des révoltes à la rébellion actuelle
En juillet 2014, les houthis réclament toujours la fin des actes de corruption et de discrimination. Une hausse des prix causée par une coupe des subventions sur les produits pétroliers déclenche une nouvelle révolte. Ils prennent alors possession de Sanaa à l’issue de combats faisant près de 300 morts. Ils s’emparent aussi de plusieurs institutions et contraignent le premier ministre à démissionner.
L’influence du président est aujourd’hui très limitée. « La population accepte les rebelles car ils sont un rempart face à Al-Qaïda, confie Moahmed Abouchar, animateur culturel à l’institut français du Yémen. Ils ne cherchent pas à créer la panique contrairement aux terroristes. La situation au quotidien est calme. »
Du soutien iranien à l’hostilité de l’Arabie Saoudite
Aussi, le Yémen possède un terreau favorable à la « guerre froide » que se livrent l’Iran et l’Arabie Saoudite pour le contrôle de la région. « Les brigades iraniennes d’Al Qods sont suspectées d’organiser les livraisons de matériel pour les rebelles », selon Philippe Bannier. L’Iran voit, dans le conflit au Yémen, une agression des sunnites envers les chiites. De leur côté, la communauté internationale et l’Arabie Saoudite soutiennent le président en exercice.
Un accord de paix a été signé le 21 septembre 2014, sous l’égide de l’ONU. Il prévoit le retrait des rebelles de Sanaa et la reprise du processus de transition politique. Mais, suite à l’accord, les houthis continuent leurs conquêtes vers le sud, et dans le centre du pays où ils ont pris la ville de Radhma, ce mercredi. Ils ont également pris possession du port stratégique de Hodeida, obtenant ainsi un accès direct sur la mer Rouge. La situation est explosive. Le Yémen se retrouve aujourd’hui aux limites d’une guerre civile et d’une partition de son territoire. L’avenir du pays semble, plus que jamais, entre les mains des houthis.
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