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La gratuité des transports en commun : effet de mode, pari risqué ou vraie bonne idée ?

  • Photo du rédacteur: Kévin Saigault
    Kévin Saigault
  • 29 juin 2018
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 31 mars 2021

Alors que la maire de Paris a récemment annoncé réfléchir à la gratuité des transports en commun dans la capitale, plusieurs villes ont d’ores et déjà franchi le cap. Pour le meilleur ou pour le pire ? Yves Crozet, spécialiste de l'économie des transports, nous aide à y répondre.


Les transports en commun pour tous ? Anne Hidalgo, la maire de Paris, a récemment annoncé le lancement d’une étude sur la gratuité des transports en commun dans la capitale et les départements de la petite couronne. L’objectif : déterminer si ce projet est réalisable financièrement. L’ambition : favoriser la mobilité urbaine et réduire la pollution de l’air. Pour autant, l’idée ne date pas d’hier. Plus d’une trentaine de villes en France ont en effet déjà opté pour la gratuité partielle ou totale des transports en commun.



Avec plus de 100 000 habitants, Niort (Poitou-Charentes) est aujourd’hui la plus grande agglomération française à proposer à ses administrés des transports en commun gratuits. La ville de Dunkerque (Hauts-de-France) dont la communauté urbaine compte 200 000 habitants devrait, elle, suivre l’exemple niortais dès septembre prochain après une expérimentation de 3 ans au cours de laquelle la ville a instauré la gratuité des transports en commun le week-end.


Soulignons toutefois que les villes ayant fait le choix de la gratuité sont de taille moyenne et, pour la plupart d’entre elles, ont une population inférieure à 40 000 habitants. Surtout, elles n’ont pas de métro, ce qui réduit considérablement les coûts. « Les transports collectifs urbains peuvent être gratuits dans les petites villes car les investissements sont réduits et le coût pour la collectivité est supportable. 50 € par an et par habitant à Gap, 120 € à Niort. Cela permet également de simplifier les questions de billetteries et de contrôles », nous explique Yves Crozet, économiste, spécialiste de l’économie des transports.



Le financement des transports publics, le nerf de la guerre


Pour ce qui est de la capitale et des grandes agglomérations, c’est une autre affaire. Notons d’ailleurs que la fixation du tarif des transports en commun relève davantage des compétences de la région. Et avec ses 14 lignes de métro, ses 1 000 et quelques lignes de bus, ses 8 lignes de tramways et ses 7 RER, l’agglomération parisienne n’est en rien comparable à la communauté d'Agglomération du Niortais et ses 19 lignes de bus.


Selon Île-de-France Mobilités, le coût des transports en commun franciliens est d’environ 10 milliards d’euros par an. Si environ 72 % de ce montant est financé par les collectivités, les entreprises et d’autres organismes, les usagers en assument tout de même 28 % du total, soit 2,8 milliards d’euros par an. Un budget dont il paraît difficile de se passer alors que la Cour des comptes a récemment indiqué que le Grand Paris Express, la future boucle formée par des lignes de métro automatique autour de la capitale, risquait de revenir à 38,5 milliards d’euros, contre 25,5 milliards prévus au départ.


« La politique est faite de mensonges romantiques. Des choses qui sont possibles sur une petite échelle ne le sont pas pour de grandes agglomérations. L’écart est pratiquement de 1 à 10 par habitant, indique Yves Crozet. N’oublions pas également que les 10 milliards d’euros par an ne concernent que le fonctionnement. Il faut rajouter à cela le coût des investissements pour le Grand Paris et ceux réalisés par Ile-de-France Mobilités. Dans quelques années, la dette de la collectivité pour les transports collectifs à Paris va augmenter de 50 milliards d’euros. Parler de gratuité au moment où l’on investit 50 milliards d’euros est un contresens. Il faudrait plutôt parler de la hausse du prix des abonnements. »


Des pistes de financement en trompe-l’œil ?


Une chose est sûre : ce n’est pas la mairie de Paris qui paiera l’addition. Elle n’en a tout simplement pas les moyens. Alors, qui ? Lorsque qu’un service public local devient gratuit et n’est donc plus financé par les usagers, ce sont généralement l’ensemble des administrés qui sont mis à contribution via une hausse des impôts locaux, et ce qu’ils utilisent ou non le service. Interrogée par France Bleu, la maire de Paris a, elle, évoqué la possibilité de financer la gratuité des transports par l’instauration d’un péage à l’entrée de la ville.


« Il y a déjà un financement des entreprises via le versement transport. Pour financer la gratuité, on pourrait donc augmenter les impôts ou mettre en place un péage urbain, admet le spécialiste. Faisons toutefois un calcul très simple : les usagers du transport en commun à Paris paient 2,8 milliards d’euros par an. Si, pour financer la gratuité des transports, on instaure une taxe sur les voitures, sachant qu’il y a 4 millions de voitures en Île-de-France, il faudrait que chaque automobiliste paie 700 € par an, soit 60 € par mois, ce qui n’est pas négligeable. »



Autre piste parfois évoquée pour garantir la gratuité des transports : l’ouverture à la concurrence. Yves Crozet n’y croit pas trop non plus. « L’idée de faire de l’allotissement, c’est-à-dire de diviser le réseau en deux ou trois morceaux avec un opérateur différent à chaque fois, pourquoi pas. Mais ce qui compte vraiment pour les réseaux, c’est la vitesse commerciale. Si une ligne de bus fait quotidiennement face aux embouteillages, par exemple, il faudra beaucoup de bus et beaucoup de chauffeurs. En revanche, s’il y a des voies réservées aux bus, ces derniers auront une bonne vitesse commerciale, ce qui permettra d’économiser des bus et des chauffeurs. La vitesse commerciale est l’élément clé. »


Toujours d'après le spécialiste, certaines mesures plus réalistes pourraient permettre de diminuer le trafic et réduire la pollution de l’air sans, pour autant, remettre en cause la tarification des transports publics. « Pour réduire le trafic, les seules solutions viables sont une tarification du stationnement, le covoiturage ou encore le péage urbain pour les grandes villes, ce qui n'empêche pas d'instaurer une tarification sociale plus ciblée pour les transports en commun. A Stockholm, le péage urbain a été mis en place et le trafic a baissé de plus de 20 %. A Lyon, des voies ont été réservées aux bus, le stationnement est devenu payant, la taille des voiries a été réduite… Tout cela a incité les habitants à privilégier d’autres modes de transport, a fait baisser le trafic et a augmenté la vitesse commerciale des transports en commun. »


Des exemples étrangers contrastés


Les collectivités françaises ne sont toutefois pas les seules à s'intéresser à la gratuité des transports publics. D’autres villes à l'étranger se sont également penchées sur la question. Avec plus ou moins de succès.


Depuis 2013, Tallin, la capitale de l’Estonie, propose ainsi des transports en commun gratuits à ses 440 000 habitants. Et c’est un véritable succès : une baisse de 6 % du trafic automobile et une hausse de la fréquentation des transports en commun de 8% ont été enregistrées, ce qui a permis à la régie des transports d'augmenter ses profits de 20 millions d'euros par an. « La gratuité des transports collectifs à Tallinn est financée par les impôts », précise Yves Crozet. Une ponction annuelle de 1 000 € est effectivement appliquée sur l’impôt sur le revenu de chaque habitant pour assurer la gratuité des transports publics. Et comme la mesure a attiré près de 30 000 nouveaux habitants, les recettes ont explosé. De plus, seuls les habitants de la ville sont exonérés du paiement des transports en commun. Les banlieusards et les touristes, eux, continuent de payer.



Si Tallin semble être un exemple de réussite, ce n’est pas forcément le cas de toutes les autres villes. « Dès 1975, la ville de Portland aux Etats-Unis a instauré la gratuité des transports en commun dans son centre-ville. Mais elle a été confrontée à un phénomène de surutilisation. De plus, les gens trichaient car ils ne payaient pas quand ils rejoignaient la périphérie. La ville s’est donc retrouvée avec un manque de ressources pour investir et a dû revenir aux transports collectifs payants en 2012, détaille Yves Crozet. Il s’est passé la même chose à Atlanta ou encore à Odessa en Crimée. »


Le contre-exemple londonien


D’autres villes à l’étranger ont, elles, opté pour la solution inverse : les usagers paient le coût réel des services publics qu’ils utilisent. A ce titre, l’exemple londonien est frappant. Pendant longtemps, la capitale britannique a délaissé ses transports en commun. Enormément d’argent a donc été investi pour remettre à neuf le réseau et le développer. Résultat, les prix des tickets et abonnements ont drastiquement augmenté. Un forfait mensuel toutes zones à Londres coûte ainsi l'équivalent de 390 € contre 75,20 € à Paris.


Par ailleurs, à la différence du système français, le réseau londonien ne bénéficie pas d’apports financiers de la part des employeurs. C’est donc le principe d’utilisateur-payeur qui s’applique, ce qui explique les prix si élevés payés par les usagers. « Ces hausses tarifaires répétées n’ont pas eu d’impact négatif sur la fréquentation des transports londoniens qui s’est maintenue, et a même augmenté depuis la crise de 2008, précise toutefois une note de l’Institut d’Aménagement et d'Urbanisme (IAU). Plusieurs facteurs peuvent expliquer le niveau de demande : l’afflux touristique soutenu et la dynamique démographique de Londres d’une part, et d’autre part les progrès constants sur le niveau et la qualité de service du réseau et les coûts d’usage importants de la voiture particulière. »

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