Dématérialisation des services publics : vers une administration 2.0 ?
- Kévin Saigault
- 12 mai 2018
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 31 mars 2021
Intensification du numérique, dématérialisation des services publics… La volonté de modernisation de l’Etat touche aujourd’hui toutes les couches de la société et aura des impacts encore difficiles à mesurer. Découvrez nos explications avec l’aide de l’économiste Philippe Crevel.
Un coup de boost. D’ici le 1er octobre 2018, l’administration française va opérer une mue complète pour se plier à certaines règles européennes, ce qui va se traduire par une intensification du numérique et une dématérialisation accrue des services publics. En effet, la réforme du droit de la commande publique prévoit une dématérialisation complète des procédures de marchés publics ainsi qu’une démarche d’open data qui devrait s’appliquer sur tout un ensemble de données publiques.
Ce processus a déjà démarré. Carte grise, permis de conduire, … Il est déjà possible d’effectuer une multitude de démarches administratives en ligne. Le paiement dématérialisé, lui-aussi, connaît un essor fulgurant. La facturation dématérialisée est en passe de devenir progressivement obligatoire pour les émetteurs de factures à destination de l’Etat, des collectivités territoriales ou encore des établissements publics. La dématérialisation du paiement de l’impôt sur le revenu se généralise également. Depuis 2017, le seuil à partir duquel il est obligatoire de payer en ligne, par prélèvement mensuel ou à l’échéance, est passé de 10 000 à 2 000 €. Une mesure qui a notamment pour but de faciliter la mise en place prochaine du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu.

Pour financer toutes ces mesures, le Grand Plan d’Investissement 2018-2022 prévoit notamment de consacrer 9,3 milliards d’euros à la modernisation de l’Etat sur une enveloppe d’un montant total de 57 milliards d’euros. Cette somme servira à financer la dématérialisation des démarches publiques, l’accompagnement des collectivités, la numérisation du système de santé, ainsi qu’à doter les administrations des outils nécessaires pour y arriver. Le but :
Faciliter les démarches administratives
Offrir plus de services aux citoyens
Obtenir un gain de productivité
Limiter la paperasse
Autant de projets qui devraient aussi bien profiter aux Français qu’à l’administration. « Au niveau microéconomique, le digital permet de réduire un certain nombre de coûts : des coûts de production et des coûts de personnel. Cela permet de réduire les effectifs de l’administration comme c’est le cas pour le ministère de l’Economie et des Finances, ainsi que les services fiscaux, avec un gain de temps et de production sur les missions, ainsi qu’une orientation du personnel vers le contrôle fiscal du fait de la libération du temps concernant l’établissement et le recouvrement de l’impôt », explique Philippe Crevel, économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d’études et de conseils en stratégies économiques. Pour le reste des Français, ces dispositifs permettront un accès simplifié aux services publics, et donc un gain de temps considérable. De plus, les services en ligne seront disponibles 7 jours/7 et 24 heures/24, ce qui permettra de faire ses démarches à tout moment.

Présentés d’un point de vue gagnant-gagnant, ces changements ne constituent toutefois pas une solution miracle à tous les problèmes rencontrés aujourd’hui par l’administration.« Du point de vue macroéconomique, on constate aujourd’hui qu’on n’arrive pas très bien à tracer les gains de productivité générés par la digitalisation de l’économie. La productivité progresse très faiblement en France depuis une dizaine d’années alors que nous sommes rentrés dans une digitalisation, développe le spécialiste. Cela ne rend pas, pour autant, le digital responsable de ce mauvais résultat mais disons qu’il ne se matérialise pas par une production globale de la productivité. »
Vers le remplacement des fonctionnaires par des robots ?
Et qu’en est-il du côté de l’emploi ? Selon une étude de l’Université d’Oxford, 47 % des emplois seraient, à terme, menacés par les progrès du numérique, de l’automatisation et de l’intelligence artificielle. Une autre étude réalisée par le cabinet de conseil Roland Bergerévoque, pour sa part, un taux de 42 %. Des études dont le résultat est fortement contesté par l’OCDE qui, de son côté, envisage une perte de 9 % des emplois dans les années à venir. Quoi qu’il en soit, les services publics ne devraient pas être épargnés par cette suppression massive (ou non) des emplois. Alors, réalité ou fantasme ?
« Le côté destructeur d’emplois qu’entraîne le digital ne doit pas être nié mais il en va de même pour toute révolution industrielle. La mécanisation de l’agriculture a entraîné de fortes diminutions d’effectifs dans les fermes. De même, l’industrialisation avec l’automatisation des chaînes de production a entraîné des évolutions sur les métiers du secteur secondaire, explique Philippe Crevel. La question est de savoir si on recrée des emplois ailleurs et si ceux recréés sont aussi intéressants, valorisants et rémunérateurs que ceux supprimés, voire mieux. C’était le cas par le passé. Pour le moment, dans le digital, on est dans un entre-deux. Il y a des emplois à forte qualification et il y a également des emplois à faible qualification, mal payés et plus précaires. Est-ce une étape intermédiaire car on est dans une mutation économique importante ? Ou est-ce une nouvelle répartition des tâches ? Il est trop tôt pour se prononcer de manière certaine. »
Comments