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Denise Greslard-Nédélec : « le système ne permet plus aux gens de sortir de la pauvreté »

  • Photo du rédacteur: Kévin Saigault
    Kévin Saigault
  • 23 mars 2018
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 31 mars 2021

Dans une tribune publiée dans le Journal du Dimanche en novembre dernier, huit présidents de départements (Ariège, Aude, Gers, Haute-Garonne, Gironde, Ille-et-Vilaine, Meurthe-et-Moselle et Seine-Saint-Denis) ont annoncé vouloir tester le revenu universel sur leurs territoires. Denise Greslard-Nédélec, vice-présidente du conseil départemental de Gironde en charge de l’insertion, a accepté, pour nous, de revenir plus en détails sur cette volonté d’expérimentation.


Avec sept autres départements, vous avez récemment annoncé vouloir expérimenter le revenu universel sur vos territoires. Quel est le point de départ de cette idée ?


Tout d’abord, nous ne parlons pas de revenu universel mais de revenu de base. Le terme revenu universel couvre tout un tas de différentes interprétations. Nous avons donc volontairement choisi le terme de revenu de base. Pourquoi s’est-on saisi de cette problématique ? D’abord, parce que nous sommes en charge du RSA et que depuis deux ans, nous constatons que nous sommes au bout d’un système qui ne permet pas aux personnes de sortir de la pauvreté et que beaucoup de gens ne demandent pas le RSA car c’est extrêmement stigmatisant. Les démarches sont également très compliquées. Elles nécessitent des justificatifs qui sont souvent mal compris et qui génèrent des indus qui doivent être récupérés par la suite.


Par ailleurs, le revenu de base est une idée ancienne qui a été reprise par des sociologues et des économistes, et en particulier par la fondation Jean Jaurès et par l’Institut des Politiques Publiques (IPP) qui, pour sa part, a travaillé sur une idée de fusion du RSA avec les aides au logement. Des aides au logement dont les modèles de calcul sont extrêmement complexes et qui dépendent d’un tas de facteurs qui sont souvent illisibles et incompréhensibles pour le public. Des députés ont également repris l’idée d’un revenu de base en 2016 et ils ont produit un rapport sur l’éventualité d’une fusion des prestations sociales (rapport Sirugue). Le Sénat s’est aussi saisi du sujet (rapport Percheron). Bref, cette question traverse à nouveau la société car les effets de la pauvreté, de la précarité et de la difficulté d’accès à l’emploi posent problème. Nous, départements qui sommes chargés des prestations, des minimas sociaux, de l’accompagnement des publics en grande précarité et du travail social, cette question nous taraude. Nous nous sommes donc saisis de la question.


Comment cela s’est passé concrètement ?


Suite à la venue de Manuel Valls, Premier ministre à l’époque, nous avons engagé des ateliers de réflexion avec différentes catégories cibles. Un des groupes composés de personnes recevant les minimas sociaux a, lui, été constitué comme un jury citoyen. Nous avons mené un travail avec ces groupes sur une durée d’environ trois mois. Ensuite, ces ateliers ont rendu leurs avis devant le jury citoyen qui, lui-même, s’est emparé des différentes remarques et réflexions avant de remettre son propre avis. Nous avons ensuite construit une assemblée plénière spécifique puisque nous avons continué à travailler avec l’Institut des Politiques Publiques, ainsi que plusieurs groupes de chercheurs.


L’idée est alors venue de d’expérimenter, sans a priori, un ou plusieurs modèles de revenu de base. Mais pour expérimenter quelque chose qui vient bouleverser la distribution des minimas sociaux, qui est une obligation d’égalité du citoyen sur l’ensemble du territoire national, il faut une loi spécifique dite loi d’expérimentation. Intéressés par nos travaux, d’autres départements ont souhaité nous rejoindre. Nous sommes actuellement onze départements. L’idée, c’est que l’on puisse porter collectivement une demande auprès du gouvernement. Le président de la Gironde a envoyé une lettre au président Emmanuel Macron afin de lui demander de porter une proposition d’expérimentation devant le Parlement. De notre côté, nous avons relancé une étude supplémentaire afin de mieux affiner les modèles que l’on pourrait explorer. L’idée est d’avoir tous les éléments d’ici fin juin pour pouvoir demander à l’ensemble des parlementaires de porter une proposition de loi.


Emmanuel Macron avait justement annoncé, en décembre dernier, vouloir réformer le droit à l’expérimentation…


Nous n’avons pas eu de retour officiel. Mais il est vrai qu’Emmanuel Macron souhaite ouvrir ce droit, ce qui implique un changement dans le droit constitutionnel. Cela peut donc prendre du temps. Mais je pense que le président Macron, comme l’ensemble des départements, nous sommes tous conscients qu’il y a un besoin d’innovation. Nous sommes arrivés à un moment où certains modèles de minimas sociaux ne sont plus adéquats avec les besoins. Il faut donc aller plus loin.


Selon vous, à quels problématiques le revenu de base permettrait-il de répondre ?


Premièrement, cela permettrait de répondre à l’automatisation. L’idée d’un revenu de base éviterait le non-recours aux droits. En Gironde, nous avons fait des estimations qui, nous le savons, sont inférieures à la réalité. Elles démontrent néanmoins que 34 % des personnes qui pourraient bénéficier du RSA n’en font pas la demande. C’est énorme ! Deuxièmement, il y a le problème des indus. Il y a eu une petite amélioration de ce côté car le calcul des ressources était fait sur l’année précédente mais, en même temps, les gens devaient déclarer leurs revenus tous les trimestres et c’était recalculé pour chaque mois. Les personnes ne savaient donc jamais à l’avance ce qu’elles allaient toucher, ce qui ne permet pas d’avoir un esprit apaisé pour aller vers l’emploi. Troisièmement, nous voyons bien que le niveau actuel du RSA ne permet pas de couvrir les besoins de base comme se nourrir et se loger. Quatrièmement, le RSA pour les couples ne correspond pas à 2 RSA mais à 1,5 RSA, ce qui est très compliqué car les ressources de l’un impactent les ressources de l’autre. Différents travaux menés au Canada et aux Etats-Unis, par exemple, montrent que les femmes restent avec leur conjoint parce qu’elles n’ont pas les moyens d’avoir des ressources suffisantes si elles partent. Elles sont donc pieds et poings liés avec les ressources de leur compagnon.


Il y a aussi la problématique des jeunes de 18 à 25 ans qui, pour la plupart, n’ont pas accès au RSA. Or, la pauvreté chez les jeunes s’accroît et ils font partie de la catégorie la plus touchée par la pauvreté. C’est un problème essentiel pour une génération car cela ne permet pas s’engager suffisamment dans la vie et de faire des projets. Toutes ces problématiques font que c’est le moment de réfléchir plus sérieusement au revenu de base et d’essayer quelque choser avant de regarder les effets que cela produit. Le verdict revient ensuite aux parlementaires et à l’Etat qui prendront les décisions qui leur sembleront les bonnes à l’aune des éléments que nous aurons pu recueillir.


Il y a toutefois plusieurs visions du revenu universel, dont certaines sont parfois en désaccord comme c’est le cas entre celui proposé par Benoît Hamon lors de l’élection présidentielle et celui du think-tank GenerationLibre, par exemple. Est-ce que vous avez déjà une idée concrète de la forme que revêtirez votre revenu de base ?


Nous avons consulté plusieurs scénarios et modèles proposés par les chercheurs et différents groupes de réflexion. Nous avons aussi été accompagné par France Stratégie mais nous n’avons pas encore des éléments assez sains pour proposer un ou deux modèles précis. Nous commençons à avoir quelques idées mais il faut que nous allions plus loin dans le travail fait avec les experts pour proposer quelque chose et faire des choix.


Idéalement, est-ce que toute la population de Gironde y aurait droit ou est-ce que l’expérimentation serait plus ciblée ?


Nous avons eu des propositions de l’Institut des Politiques Publiques mais pour l’instant, rien n’est arrêté. Les autres départements qui nous accompagnement auront, sans doute, eux-mêmes, des choix et des propositions différentes. On ne sera pas les seuls à faire une expérimentation. Cela pourra donc prendre des formes différentes selon les départements. Il y a, par exemple, des départements ruraux qui sont très intéressés pour regarder ce qu’il se passerait du côté des agriculteurs puisque ces derniers ne demandent que très rarement le RSA. Pour eux, il est impensable de ne pas pouvoir vivre de l’exploitation de leurs terres. Leurs justificatifs de ressources sont également très complexes car ils ne rentrent pas dans les mêmes catégories que ceux d’un ex-salarié. La Seine-Saint-Denis, elle, est très intéressée pour voir ce qu’il se passerait pour les jeunes car ce département a une population jeune extrêmement importante. Chaque département aura donc un angle et un choix différent. Cette multiplicité peut d’ailleurs être très intéressante.


Pour la Gironde, nous avions plutôt pensé à le tester sur une population suffisamment importante car ce qui nous intéresse, c’est de toucher toutes les catégories de personnes, et pas seulement les bénéficiaires des minimas sociaux. Par ailleurs, nous savons très bien que l’un des arguments des opposants au revenu de base est que cela va tuer l’emploi. Pour l’instant, les éléments en notre possession, grâce aux petites expérimentations qui ont été faites dans le monde, démontrent ce n’est pas vrai. L’intérêt pour nous, ce serait donc d’expérimenter sur une population assez large pour avoir des éléments statistiques suffisants.


Et à l’étranger justement, qu’ont donné les expérimentations locales ?


Il y en a eu beaucoup. Elles ont toutes un contexte particulier et différent. En Finlande, cela ressemble plus à notre RSA avec une petite différence : l’expérimentation s’adresse aux chômeurs de longue durée qui, quand ils retrouvent un emploi, gardent l’allocation dite de base pendant une durée de plusieurs mois pour éviter l’effet de bascule rapide. On est donc loin des critères d’un revenu de base. Sinon, il y a eu une expérimentation de revenu complétement universel sur un micro-territoire en Namibie dont les effets ont été assez clairs sur la scolarisation des filles, sur l’accès à la santé et sur l’autonomisation des femmes qui ont pu monter des petites auto-entreprises. Il y a eu les mêmes effets lors d’une expérimentation qui s’est faite dans le nord de l’Inde. Mais, dans les deux cas, elles ont été limitées par le temps car soumises à la volonté du politique.


Nous, nous voulons une expérimentation qui soit idéalement d’une durée de trois ans et au minimum de deux ans. Malgré cela, nous savons très bien qu’il y a des effets que nous ne pourrons pas regarder car au bout de trois ans, cela peut s’arrêter et que les gens ne réagiront pas de la même manière s’ils savent que ça va durer toute leur vie ou s’ils savent que ce n’est que pour quelques années. Les scientifiques savent toutefois intégrer cela à leurs études.


Mais peut-on vraiment financer un revenu de base sans exercer une hausse de la fiscalité ?


Il y a plein de manières de financer un revenu de base. En février 2017, nous avions lancé un simulateur en ligne dans lequel nous avions intégré toutes les possibilités dans le but que les gens testent leur revenu de base. Les utilisateurs pouvaient ainsi choisir les catégories auxquelles ils attribuaient un revenu de base, son montant en euros, son financement… Dans la partie financement, ils pouvaient notamment choisir plusieurs propositions et en proposer de nouvelles. Plus de 3 800 propositions diverses et variées ont ainsi été déposées en ligne. L’argument des nouveaux impôts est très vite tombé. Mais il ne s’agit pas forcément d’augmenter les impôts mais d’en trouver de nouveaux qui soient différents et qui ne s’appliqueraient pas seulement, voire même pas, sur les citoyens lambdas. La hausse de la fiscalité est donc un faux argument et les gens qui le ressortent n’ont souvent pas assez creusé le sujet.


Expérimenter le revenu de base dans un territoire est tout de même un peu contradictoire avec la conception du revenu universel qui se veut un modèle alternatif et qui ne peut être réellement testé sans changer complétement le système au préalable…


C’est vrai ! L’expérimentation que nous pourrions tenter ne sera jamais un vrai revenu universel car nous n’aurons jamais une expérimentation à l’échelle du pays. Nous ne pourrons expérimenter que certains critères. C’était pareil lors des expérimentations du RMI et du RSA. Ce que nous demandons, nous, contrairement à ce qu’il s’est passé pour le RMI et le RSA, c’est de bien fixer les critères d’évaluation de départ, d’aller jusqu’au bout de l’expérimentation et de la faire évaluer par un organisme extérieur. Soyons honnête et allons jusqu’au bout d’une expérience scientifique, et ce même si elle ne couvre pas l’ensemble des critères d’un vrai revenu universel.

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