Delphine Granier : « pour un revenu universel financé par un crédit d’impôt proportionnel »
- Kévin Saigault
- 30 mars 2018
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 31 mars 2021
Delphine Granier est la directrice adjointe du think-tank GenerationLibre. Un think-tank d’inspiration libérale qui milite pour l’instauration d’un revenu universel très différent de celui proposé par Benoît Hamon lors de la campagne présidentielle.
Contrairement à Benoît Hamon qui a popularisé le revenu universel en France, vous ne prophétisez pas la fin du travail pour mettre en place ce système. Parlez-nous de votre conception du revenu universel…
En effet, il y a toute une école de pensée issue de la Silicon Valley qui voit le revenu universel comme un moyen d’assurer un revenu aux gens dans un monde où il n’y aurait plus de travail. C’est l’esprit de la proposition portée par Benoît Hamon. Pour notre part, nous ne sommes pas du tout dans cette ligne de pensée. Si des mutations du travail sont indéniablement à l’œuvre, nous croyons en la destruction créatrice : on ne se situe pas dans une vision des choses où le travail aurait complétement disparu. On pense que les choses vont évoluer, qu’il va y avoir des changements mais qu’il ne faut pas lier le revenu universel à cette idée de fin du travail.
Notre vision d’inspiration libérale, a deux lectures. La première est qu’on s’inscrit un peu dans la philosophie de Milton Friedman qui consiste à dire que si on considère que dans un pays, il faut prendre en charge les plus fragiles, les plus précaires, le revenu universel serait alors le moyen le plus efficace et le moins paternaliste pour le faire. Le plus efficace car comme ça personne ne passe entre les mailles du filet et tout le monde reçoit quelque chose en tant qu’individu et membre de la société, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui avec un taux du non-recours aux droits très importants, et beaucoup de gens qui, par exemple, ne demandent pas le RSA à cause de formulaires trop complexes ou parce qu’ils sont en marge de la société. Le moins paternaliste car aujourd’hui, pour toucher telle ou telle aide, il faut renseigner sa situation familiale, sa situation économique… On considère que cela ne regarde pas l’Etat et que le but est d’assurer la survie des gens. Le revenu universel répond donc à ces premiers points.
La seconde lecture, d’inspiration libérale, du revenu universel s’inscrit plutôt dans la philosophie de Philippe Van Parijs, un chercheur belge qui a une vision qui consiste à dire que le revenu universel ne répond pas uniquement aux questions de pauvreté mais qu’il s’agit d’un outil au service de l’émancipation des individus quel que soit leur niveau de vie et que c’est un moyen d’assurer à chacun son autonomie. Du coup, cela permet de sortir des débats autour de : « est-ce que cela remplace le travail ou pas ? », qui est la ligne d’achoppement entre la gauche et la droite. Nous, notre point de vue est de dire que le travail n’est pas une valeur en soi, et que chacun devrait être libre d’organiser sa vie comme il le souhaite. Et si une personne préfère recevoir un revenu universel aussi modeste soit-il et prendre la décision de ne pas travailler, cela ne nous pose pas de problème. On considère que chacun a la possibilité de définir pour lui-même ses valeurs et la façon dont il va organiser sa vie.
Pourquoi voulez-vous mettre en place un impôt négatif ?
L’impôt négatif est le système le plus pratique. Pour ceux qui contribuent, c’est le moyen le plus efficace et le plus indolore, et ce même pour les hauts revenus qui n’ont pas vraiment besoin de revenu universel : ce n’est qu’un crédit d’impôt de plus dans tout un système de niche fiscale. Surtout, l’impôt négatif fait que dès que les revenus augmentent, le revenu universel diminue de façon proportionnelle, ce qui fait que vous gagnerez toujours plus. Donc, en fait, pour ceux qui défendent la société du travail, c’est un système hyper incitatif au travail !
Pour instaurer le revenu universel, vous voudriez supprimer certaines aides sociales non contributives et réformer l’impôt sur le revenu afin d’instaurer le paiement de 25 % des revenus de chacun qui seraient ensuite redistribués de manière égale à l’ensemble de la population. C’est bien cela ?
C’est ça. Pour les aides, on supprime tout ce qui ne relève pas de l’assurance. On ne touche donc pas au chômage ou à la retraite car on cotise pour ces assurances. On ne touche pas non plus aux allocations spécifiques type handicap, aides au logement, … qui répondent vraiment à un besoin précis. En revanche, on supprime le reste des aides non contributives. Il s’agit, pour simplifier, de tous les minimas sociaux auxquels les gens n’ont pas forcément recours aujourd’hui. Il est donc bien plus simple d’instaurer un revenu universel à la place. On le finance par un impôt qui remplace l’impôt sur le revenu, et qui prend la forme d’un crédit d’impôt proportionnel, ce qui fait qu’on supprime les effets de seuil qui nuisent au retour à l’emploi.
L’impôt sur le revenu sert aussi à financer les prérogatives de l’Etat (défense, éducation…). Or, votre revenu universel créerait inévitablement un manque à gagner pour l’Etat…
Ce qu’on a calculé, c’est que notre proposition est neutre sur les finances publiques. Si on prend le système actuel et qu’on le remplace par notre système, cela ne génère aucun coût supplémentaire pour l’Etat. Cela n’a donc aucun impact sur les fonctions régaliennes de l’Etat.
Un coût supplémentaire pour la société alors ?
Le chiffrage qu’on a fait avec notre proposition permet de penser à un système différent. C’est toute la difficulté politique. Mais notre modélisation ne montre aucun impact sur les finances publiques, et donc sur la contribution de la société.
Que pensez de la volonté d’expérimentation du revenu de base qu’ont récemment exprimé huit présidents de départements ?
On est absolument contre cette idée. On considère que, comme le revenu universel est un modèle alternatif, si on l’expérimente dans le modèle actuel, cela ne sera jamais comme dans la situation réelle car il y aura des doublons, etc. Aussi, le fait de vouloir expérimenter veut dire qu’on veut démontrer quelque chose. Or, nous estimons qu’il n’y a rien à démontrer et que l’objectif du revenu universel est de laisser les gens autonomes gérer cet argent comme ils le souhaitent. Peut-être que certains retrouveront un emploi car c’est plus incitatif, peut-être que d’autres arrêteront de travailler car ils préfèrent peindre et vendre leurs peintures, quitte à avoir un faible niveau de vie mais c’est leur choix.
Le problème de l’expérimentation, c’est que vouloir démontrer quelque chose va à l’encontre de l’esprit du revenu universel. C’est un peu comme si lorsqu’on a mis en place les congés payés, on avait voulu les expérimenter avant. Eh bien non, on a considéré, à un moment donné, que c’était un droit fondamental pour les gens et on l’a mis en place directement. C’est pareil pour le revenu universel.
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