Le Vieux Continent à la dérive
- Kévin Saigault
- 14 mars 2019
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 22 avr. 2021
L’Union européenne est en crise. A l’approche de l’échéance du 26 mai prochain, elle doit d’urgence se réinventer si elle veut être plus qu’une simple parenthèse dans notre histoire commune.
Rien ne va plus sur le Vieux Continent. Les relations franco-italiennes n’ont jamais été aussi exécrables depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le populisme reprend racine en Europe de l’est, l’Allemagne retient son souffle dans l’attente du départ d’Angela Merkel, les velléités indépendantistes de la Catalogne déstabilisent l’Espagne, le Royaume-Uni, lui, a carrément décidé de claquer la porte. Si l’union fait la force, force est de constater que l’Europe s’affaiblit de jour en jour.
Il n’en faut pas plus pour que certains agitent le spectre des années 30. Le morcellement idéologique de l’Europe n’est toutefois pas que le fruit d’intérêts nationaux divergents. Il est aussi et surtout la conséquence d’un manque de vision à long terme. Marché commun, libre-échange, élargissement… : pour maintenir sa cohésion et avancer, l’Europe a toujours eu besoin de projets d’envergure. Or, depuis l’union monétaire de 2002, aucun projet sérieux n’a été mis sur la table.
Précurseuse avant l’heure et parfaitement consciente du danger des nationalismes, Simone Veil affirmait que ce n’est qu’en « se fixant de grandes ambitions [que] l'Europe pourra faire entendre sa voix et défendre des valeurs fortes ». Celle qui voyait en l'Europe « le grand dessein du XXIème siècle » doit aujourd’hui se retourner dans sa tombe.
De la nécessité d’une Europe solidaire
Et pour cause : les 27 pays membres de l’Union européenne (UE) n’ont ni la même histoire, ni le même environnement stratégique. De fait, parvenir à l’unité semble utopique. En constituant des noyaux durs autour de grands projets, une partie de l’Europe pourrait toutefois continuer à avancer en entraînant progressivement les autres dans son sillon. La réussite d’Airbus démontre qu’une Europe à plusieurs vitesses est possible. Mais encore faut-il, par exemple, que la Belgique ou les Pays-Bas jouent le jeu et cessent de privilégier l’achat de F-35 américains à une offre européenne.
L’affaire Air France-KLM est, en ce sens, particulièrement révélatrice de la montée des positions nationalistes sur le continent. En exécutant une entrée fracassante dans le capital d’Air France-KLM, l’Etat hollandais a opéré un véritable coup d’Etat industriel. Le but affiché : acquérir une position équivalente à celle de la France au sein du conseil d’administration en obtenant 14 % des parts du groupe. Du point de vue hollandais, ce coup de force est parfaitement compréhensible. Il l’est beaucoup moins du point de vue européen. En avançant masqué, l’Etat hollandais a envoyé un fort mauvais signal : l’Europe ne se construit plus ensemble mais en fonction des intérêts nationaux de chacun.
En rejetant le projet de fusion entre Alstom et Siemens, la Commission européenne a aussi récemment illustré son manque de vision stratégique. Cette affaire est tout sauf anecdotique. Elle illustre à merveille les contradictions et les dilemmes qui traversent l’UE et ses Etats membres. Ici, la protection des consommateurs a pris le dessus sur la question de l’indépendance stratégique. Problème : sans champions à sa hauteur, l’Europe des normes deviendra, à n’en pas douter, l’Europe des autres.
De la nécessité d’une Europe souveraine
Face à la montée en puissance des pays émergents et à l’isolationnisme de l’Amérique, l’Europe paraît, en plus d’être divisée, bien isolée sur la scène diplomatique. A ce titre, l’Europe de la défense, chère à la France, mériterait d’être discutée plus amplement. Sans aller jusqu’à sortir de l’OTAN, l’Europe pourrait se contenter d’obtenir plus d’autonomie au sein de l’alliance transatlantique, ce qui aurait notamment pour effet de rassurer les pays baltes quant aux intentions de la Russie. Un impératif d’autant plus important que Donald Trump remet en cause le multilatéralisme et n’hésite pas à désigner l’Europe comme un « ennemi ».
Afin de contourner l’extraterritorialité des sanctions américaines, l’Europe se doit également de renforcer sa politique monétaire. La mise en place d’Instex pour continuer à commercer avec l’Iran est, par exemple, une bonne idée mais ce système de troc n’est définitivement pas adapté aux grandes entreprises comme Total, Airbus ou Renault. Encore une fois, l'Europe fait le choix de ployer le genou face au géant américain.
De peur de voir leurs cotes de popularité décroître, les dirigeants européens n’osent, en réalité, plus faire de choix qui fâchent. À l’heure où la Chine détient le monopole de la production des métaux rares, ultime condition à la transition énergétique et numérique, et donc à la fabrication de panneaux photovoltaïques ou d’éoliennes, la France, géant minier en sommeil, pourrait, par exemple, faire le choix de redevenir une puissance minière. En cas d’embargo, elle assurerait ainsi son indépendance stratégique et pourrait diversifier les approvisionnements de ses alliés, le tout en s’efforçant d’engager une démarche éco-responsable. Mais comment motiver l’opinion publique alors que la délocalisation de la production, et donc de la pollution, lui a permis de se laver les mains à moindre frais ?
De la nécessité d’un renouveau européen
Ce sombre tableau ne doit cependant pas masquer le potentiel européen. Le continent abrite toujours quatre des dix plus grandes puissances économiques mondiales. A elle-seule, l’UE est la deuxième puissance économique au monde. La France siège parmi les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, dispose d’une capacité de projection militaire tangible et de la dissuasion nucléaire. La bonne santé économique de l’Allemagne continue de faire des envieux et le pays occupe la première place dans les institutions européennes. Plus que jamais, le couple franco-allemand se doit d’être la locomotive européenne. Mais afin de maintenir une certaine cohésion, le duo doit accepter que les autres Etats membres expriment des alternatives à leurs visions souvent trop dominantes concernant l’UE et sa place dans le monde.
En outre, l’Europe a le potentiel de devenir une puissance normative. « Quand il y a une innovation, les Américains en font un business, les Chinois la copient et les Européens la réglementent », plaisantait ainsi Emma Marcegaglia, ex-patronne du Medef italien. Mais encore faut-il que l’Europe parvienne à imposer ses normes. Les menaces de quitter la CPI, le retrait américain de la COP21 ou encore la difficulté à taxer les géants du numérique prouvent que ce n’est pas gagné. La norme plutôt que la force est pourtant un principe fondamental de la puissance européenne. Alors que le traditionnel ordre international laisse peu à peu place à l’anarchie, l’Europe a plus que jamais le devoir de s’imposer comme une alternative, un modèle à suivre.
L’époque n’est pas au désespoir. L’idéal européen est encore possible. Mais alors que les élections européennes approchent et que seuls 4 citoyens européens sur 10 disent avoir une « image positive » de l’UE, il est plus que temps d’ouvrir les yeux : l’Europe a perdu de sa grandeur. Si elle ne repense pas la façon dont elle doit s'adapter pour relever de nouveaux défis, l'UE sera de plus en plus marginalisée sur la scène internationale, jusqu'à devenir insignifiante dans les décennies à venir. Parce que les institutions sont fragiles et parce que la démocratie n’est que le fruit d’un consentement collectif, l’Europe doit innover et se réinventer pour fédérer les peuples. Pour redonner foi au rêve européen, encore faut-il commencer par lui redonner sens.
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